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23 mars 2011 3 23 /03 /mars /2011 23:47

 

Jean II le Bon, Séquelle
éd. Thierry Magnier, 2010 

Quatre ans après Jean Ier le Posthume, on retrouve les 3 fidèles copains, Arthur, Stan et Elsa. Ils ont désormais 15 ans. Le brevet les attend en fin d'année mais leurs préoccupations sont plutôt d’ordre créatif, faire de la musique pour Elsa, du cinéma pour Stan et écrire un roman pour Arthur. A travers eux, Fabrice Vigne nous interpellent sur le sens que peut avoir l’écriture d’une suite, et sur l’écriture elle-même.

  




« On écrit avec nos séquelles »

 

Automne 2010. Fabrice Vigne vient d’achever une lecture musicale en public de son roman Les Giètes*.
De la lecture à l’écriture, une voix. Celle de Fabrice Vigne est là, ronde et posée.On entend ce goût des mots et de les prononcer. Chaque syllabe est tenue, délectablement livrée, comme dans ses récits où il se plaît à jouer, souvent avec humour et dérision, avec le langage et les couches de sens.


"Fabrice Vigne, Jean II le Bon votre dernier roman chez Thierry Magnier est paru cet automne.
On retrouve les mêmes personnages que dans Jean Ier le Posthume. Stan, Elsa et Arthur ont-ils changé depuis 2006 ? Où en sont-ils ? 
 

Ce sont, en effet, les trois mêmes personnages. Dans Jean Ier le Posthume, ce sont des enfants et dans Jean II le Bon, ce sont des adolescents. Il y a quatre ou cinq ans entre les deux, ce qui correspond à l’intervalle entre l’écriture de deux romans. J’ai pas mal changé en ces quatre ou cinq ans, et eux aussi. Ce qui n’a pas changé, c’est que ce sont des livres à propos des livres. Ce sont des livres sur l’écriture.

 

Pourquoi avoir choisi des rois comme sujet d’écriture pour Arthur, Stan et Elsa ?
 

Par hasard. Le hasard a un rôle très important dans ces deux livres. C’est le hasard de l’inspiration. Ils veulent dans les deux cas écrire un roman sur des rois de France. Dans le premier, ils choisissent le roi le plus court de France : Jean Ier le Posthume en se disant, à tort, que c’est une histoire facile à raconter. A sa naissance, Jean Ier le Posthume était déjà roi puisque son père était déjà mort. Mais, il n’a duré que cinq jours. Alors ils se posent des questions sur l’hérédité de la fonction, et donc sur ce qu’ils doivent à leurs propres parents.

Dans le deuxième volet, dans Jean II le Bon, ils ont grandi. Ils sont adolescents et le mur de la puberté, qu’ils ont franchi allègrement, change la règle du jeu entre les filles et les garçons. Mais écrire les titille toujours, et toujours par hasard, ils se penchent sur le cas de Jean II le Bon. L'histoire se passe une génération après Jean Ier, au 14ème siècle, pendant la guerre de 100 ans contre les anglais. Ce Jean-là a eu un destin guerrier. Capturé lors de la bataille de Bouvines, il a fini ses jours dans une geôle en Angleterre. Et cette fois, mes trois apprentis écrivains vont réfléchir sur le choix que l’on fait de sa propre vie. Autant le premier était sur l’hérédité et sur, si j’ose dire, l’implacabilité des déterminismes sociaux, autant le deuxième est sur le libre arbitre, sur la vie que l’on s’invente soi-même. 


D’ailleurs, il y a la question de l’orientation dans ce livre Jean II le Bon qui est en parallèle à l’écriture de ce livre. L’orientation est vue comme une forme d’injustice... Vos personnages ressentent une certaine déception, une révolte entre ce qui leur est proposé et ce dont ils rêvent…
 

Oui, ils sont en troisième. On demande de plus en plus tôt aux adolescents d’avoir une idée de leur vie professionnelle. Il faut qu’ils aient un projet, qu’ils fassent un stage en entreprise, etc… et tout ceci, qui fait partie de leur vie quotidienne, parasite l’écriture de leur roman. Comme moi, ou comme n’importe qui, quand on est en train d’écrire un roman, on n’est pas dans une tour d’ivoire. On vit aussi avec ce qui nous entoure, avec nos préoccupations quotidiennes.


Comme dans Jean Ier le Posthume, dans Jean II le Bon, le rêve cadre le texte. Pourquoi ? Quel sens ça a ?
 

Je suis très attentif au rêve. J’adore ça. D’ailleurs, le récit de rêve est un genre littéraire à part entière. Maints grands écrivains ont écrit des recueils de rêves, Perec ou Michel Butor…et  d’autres. Moi-même, j’ai cédé à ce genre-là. J’ai publié un recueil de mes rêves qui s’appelle l’Echoppe enténébrée paru au Fond du tiroir*. Jean Ier le Posthume et Jean II le Bon commencent tous les deux par un récit de rêve. Des rêves qui surviennent à Arthur, mais qui en réalité me sont survenus à moi. Un rêve que je faisais quand j’étais enfant pour Jean Ier le Posthume, et un rêve que j’ai fait quand j’étais adolescent pour Jean II le Bon. Puisque ce sont des livres qui mettent en fiction le processus de création, je trouvais à la fois pertinent et drôle de montrer dés la première page une création spontanée alors que mon personnage se torture l’esprit pour savoir comment on construit une histoire. En réalité, on écrit des histoires dans sa tête toutes les nuits. L’activité onirique ressemble beaucoup à la création de fiction, sauf qu’on ne le fait pas exprès. C’est de la création spontanée, c’est de la poésie sans la moindre affectation. Mais dans le principe, c’est un peu la même chose. Dans un rêve comme dans un roman, on utilise des choses qui existent pour de vrai et on les mélange pour faire une histoire qui n’existe pas.


Jean II le Bon fait suite à Jean Ier le Posthume.
Pourquoi une suite ?
 

Jean Ier le Posthume posait la question " à quoi bon écrire un livre ?" Vaste débat ! Evidemment, Jean II le Bon pose comme question en filigrane "à quoi bon écrire une suite ?"

Quand on écrit une suite, on s’expose aux critiques : si il écrit la suite, c’est qu’il est à court d’inspiration, il est fini, il refait quelque chose qui a déjà marché, etc... Dans mon cas, j’ai écrit une suite parce que j’étais attaché à ces personnages. Je voulais les voir grandir. Faire la même chose en faisant quelque chose d’autre, c’est ça le principe d’une suite. C’est là que ça devient intéressant.

Le sous-titre de Jean Ier le Posthume,  c’était « roman historique » et là le sous-titre c’est « séquelle ». L’acception du mot séquelle la plus connue, c’est l’acception médicale. Ce qu’il reste de nos maladies passées, ce qu’on en garde. Mais aujourd’hui, dans le vocabulaire du cinéma américain, dans le vocabulaire d’Hollywood… « a sequel »  c’est une suite.

Ce livre Jean II le Bon, c’est à la fois « a sequel », la suite, mais c’est aussi une séquelle. L’une des idées de ce livre, c’est qu’on écrit parce qu’on a survécut. Ceux qui racontent, ce sont ceux qui sont encore là. On écrit avec nos séquelles. Pour moi, ce livre, c’est ma séquelle. 


A travers Arthur, Stan et Elsa, Jean II le Bon pose aussi cette question : pourquoi est-ce que l’on écrit ? Est-il possible de répondre à cette question ?
 

Comme souvent dans les bonnes questions la réponse est peut-être moins intéressante ! En tous cas, il faut la trouver soi-même. On écrit pour être aimé. Cette phrase apparaît en toutes lettres dans ce livre. Il faut néanmoins aller au bout d’un cheminement pour parvenir à cette révélation. On écrit pour être aimé parce qu’on écrit pour entrer en contact avec les autres. Et ces trois adolescents, même s’ils ont les préoccupations de leur âge et qu’on les enquiquine avec une conseillère d’orientation, ils ont des préoccupations créatrices. Ils veulent accomplir quelque chose de beau, un roman, et, par ailleurs, un film pour Stan, de la musique pour Elsa. Ils veulent comme tout le monde être aimés.

C’est d’ailleurs Elsa qui donne cette réponse, ce n’est pas Arthur…pourquoi ?
 

Parce qu’Arthur est beaucoup moins capable qu’elle de verbaliser les choses. C’est peut-être vrai d’une manière générale, les filles sont plus capables que les garçons de verbaliser et de mettre les points sur les i. Mais Arthur le reçoit, il l’entend. Il le comprend très bien.


Vous parlez, également, dans Jean II le Bon du caractère obsessionnel de l’écriture. Pouvez-vous nous l'expliquer ?
 

Oui oui, absolument. Je parlais du hasard tout à l’heure…quand on commence à écrire, il y a une part de hasard. Il y a une idée ou une émotion qui nous arrive dans un flash et qu’on veut coucher sur le papier. Mais une fois qu’on a commencé, une fois qu’on a fait le premier pas, ça devient obsessionnel parce qu’on se rend compte que cette idée-là, une fois qu’elle est sur le papier, en noir et blanc, et qu’elle nous regarde autant qu’on la regarde, elle va en entrainer une autre. Et une idée va entrainer une émotion. Et une émotion va entrainer une idée. Et le texte va gonfler comme une boule de neige. C’est comme ça qu’il devient obsessionnel, c’est-à-dire, tout nous ramène à lui. Tout ce qu’on peut éprouver par ailleurs va nous rappeler la petite lumière qu’on a allumée et qu’on va protéger comme on protège avec ses mains la flamme d'une bougie contre le vent. On y pense en permanence. Il y a certains de mes textes que je retravaille depuis des années. C’est de la maniaquerie, peut-être, mais il y a toujours quelque chose à amender sauf quand le livre est imprimé. Alors, on ne peut plus rien faire, j’évite de le lire, à ce moment-là.


Arthur, Stan, Elsa, trois caractères bien distincts. A quoi correspondent ces trois personnages, pour vous, finalement ?
 

Mes trois personnages sont autant de métaphores de conceptions de la littérature. Il ne s'agit pas de romans réalistes. Ce sont des comédies, des livres qui font rire…mais intellectuels parce qu’ils sont truffés de références et parce qu’il y a une mise en abîme du livre dans le livre. Je parle des raisons pour lesquelles on écrit des livres et des conceptions qu’on a de la littérature.

Elsa, la seule fille des trois, a une personnalité bien trempée pour ne pas se faire marcher sur les pieds par les deux garçons. Elle a une conception de la littérature très engagée, ancrée dans le réel. Si elle écrivait des livres, ce serait soit des autofictions soit des documentaires. Je l’imagine bien le poing levé, Elsa. Elle veut changer le monde parce qu’il est injuste. Et s’il y a des livres à écrire, c’est pour changer la société.

Stan, c’est tout le contraire. A quoi bon écrire des livres sur le monde ? Le monde, on est déjà dedans. Il a une conception des romans qui est de pure imagination. Lui, il veut écrire des histoires de fantômes, de sorciers, des histoires fantastiques. Il écrirait de la fantasy, comme on dit aujourd’hui.

Entre les deux, il y a le personnage d’Arthur qui est peut-être celui des trois qui me ressemble le plus. C’est celui qui a le moins d’a priori, de conviction. Lui, il écrit. Il saura pourquoi il écrit et ce qu’il a écrit, une fois qu’il aura terminé."


 




*Fabrice Vigne est l'auteur de nombreux livres dont TS (2003, l'Ampoule), Jean Ier le Posthume, roman historique (Thierry Magnier, 2006), Les Giètes (Thierry Magnier, 2007, Prix Rhône-Alpes de littérature jeunesse 2008), la Mêche illustrée par Philippe Coudray (Castells 2006, réédition Le Fond du Tiroir 2010) ou Dr Haricot, de la Faculté de Médecine de Paris (Pré#Carré, collection ‘Un pas à la fois’, 2011).

*Fabrice Vigne est également le Président Directeur Général à Parachute Doré de la maison d'éditions Le Fond du Tiroir (http://www.fonddutiroir.com/) où il a notamment publié L'Echoppe enténébrée, récits incontestables, ABC Mademoiselle dont les illustrations sont de Marilyne Mangione, ou un livre en kit J'ai inauguré Ikéa conçu avec l'ingéniosité de Patrick Villecourt. 

Ces propos de Fabrice Vigne ont été recueillis pour l'émission radiophonique Entre Paroles et musique réalisée par Maxime Barral-Baron et Vanessa Curton, sur RCF Isère. Elle est diffusée tous les mercredis 18h30 & tous les jeudis 11h30 sur le 103.7 FM pour Grenoble et son agglomération et 106.8 FM pour la Bièvre et la Côte St André.

Pour écouter l'émission cliquer ici : link

 

Zone littéraire
www.vanessa-curton.fr
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