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3 avril 2011 7 03 /04 /avril /2011 22:13

à propos de l'album Kid illustré par Loren Capelli
& de son roman Pirate des Garages-Vides

Vers un langage libre

 

Corinne Lovera Vitali écrit depuis douze ans, oscillant entre littérature adulte et littérature jeunesse. Des étiquettes, des carcans auxquels elle ne prête pas grande importance puisque selon elle tout est connecté. Tout participe d'un même cheminement, celui d’une écriture et d’une voix singulières où résonne, comme un cheval de bataille ou comme un précepte sans norme, un seul mot d’ordre hérité de Virginia Woolf : "tout ce que je veux".

 


 

"Corinne Lovera Vitali, nous nous rencontrons pour parler de votre travail d’écriture à travers deux de vos derniers livres : un album, Kid, illustré par Loren Capelli et publié aux éditions du Rouergue en 2010, et un roman pour adolescents, paru chez Thierry Magnier en 2009.

 

Vous avez écrit plusieurs livres en littérature générale dont Nitti en 2002 et Nouvelle vie en 2004, édités tous les deux chez Gallimard. Mais vous avez un attachement particulier à un recueil de monologues, La Taille des hommes, publié en 2006 aux éditions Comp’Act qui se sont ensuite appelées l’Act Mêm, et qui ont malheureusement cessé leur activité depuis peu…

 

 

Oui, je suis spécialement contente d’avoir édité La Taille, même si c’est un livre qui se fait rare… Il a existé et continue d'exister davantage par les lectures publiques que je fais de certains des monologues, notamment tout ce que je veux, qui a été aussi édité à part, aux éditionsprécipitées, une maison encore plus petite que Compact’ mais avec aussi une très très belle détermination. C’est d’ailleurs dans cette même maison, créée par Claire Colin-Collin, une amie qui est peintre, que va sortir bientôt un autre recueil de textes que j'ai appelé scrute le travail. C’est un ensemble de textes sur la peinture, sur l’écriture et sur comment je travaille quand je travaille toute seule, quand je travaille avec une illustratrice, Loren, ou quand je travaille avec un illustrateur qui n’est pas Loren… Disons, sur mes expériences différentes de travail. Souvent on fait des choses par hasard, par impulsion, par intuition, et après, quand le travail commence à avoir une certaine épaisseur – ce qui est mon cas parce que ça fait maintenant douze ans que je publie –, on peut regarder ce qui se passe et comprendre un peu mieux… Par exemple ce que je préfère faire et ce que je ne veux plus faire, pourquoi je le fais et pourquoi je ne le fais plus, ce qui m’intéresse… et effectivement essayer, passer à l'acte. "Tout ce que je veux" est vraiment un motto, un mot d’ordre. C’est pratiquement impossible à atteindre ! Mais c’est le but ! Arriver à faire tout ce que je veux… vient d’une phrase que Virginia a écrite dans son journal en 1923 : « Il me vient une idée délicieuse, j’écrirai tout ce que je veux écrire. »

 

 Tout ce que je veux écrire, est-ce que ça veut dire mettre de côté la littérature dite "adulte" ? Depuis 2006, vous n’en avez plus publié !

 

Je n’en ai plus publié, effectivement, mais ça ne veut pas dire que je n'y travaillais pas, au contraire, les chantiers "adultes" se sont épaissis toutes ces années. Simplement j'étais davantage disposée et disponible pour mon travail à destination de la jeunesse. Les chantiers adultes sont plus lourds, j’y vais plus lentement.

Je prends davantage de temps qu'auparavant. scrute va voir le jour, en juin, après avoir été initié en 2006… et un roman, Monde Meilleur, vient aussi d'être achevé…

 

 

Qu’est-ce qui vous plaît dans la littérature jeunesse ?


Je ne sais pas bien me compartimenter, c’est-à-dire que je parle de mon travail ou de mon écriture sans faire de hiérarchie. Vraiment ! La hiérarchie que je fais, ensuite, c’est plutôt par mon autocritique. Il y a des livres qui sont meilleurs que d’autres. Je le sais. Je le sais une fois qu’ils sont parus… ou je le sais avec le temps… Par exemple, Kid, qui est le deuxième album que j’ai publié avec Loren, pour moi, c’est une des choses, un des travaux les plus aboutis qui soient. Pourtant, effectivement, il n’est "qu’un album jeunesse" — entre guillemets. Ça veut dire qu’il aura peu de visibilité chez les adultes, il aura de la presse mais en jeunesse, etc., parce que tout ça est très compartimenté, même au sein de la littérature de jeunesse où il y a encore du compartimentage entre le roman et l’album, les âges des lecteurs, etc. Tandis que le seul distingo que je fais c'est que quand j’écris un roman je suis toute seule, et quand je travaille à un album je le fais avec un illustrateur. Et ça c’est un GROS distingo ! Je ne pourrais pas travailler tout le temps toute seule. J’ai besoin de cette alternance, j’ai besoin du travail en équipe. J’imagine donc qu’à la base, l’alternance entre roman et formes courtes vient de là. Mais les deux se nourrissent. Et je pense que la littérature dite de jeunesse me permet de faire exister ma voix adulte – tandis que c'est peut-être dans le roman adulte que ma voix enfant peut exister le plus fort…

 

 

Parlons de Kid.

Comment en êtes-vous venue à travailler avec Loren Capelli ? Comment vous êtes-vous rencontrées ? 

 

C’est une histoire qui a pris son temps là aussi. Loren était venue me voir sur un salon du livre en 2006. Elle avait aimé Lise. et on a eu une première discussion, puis j’ai vu son travail. C’est une artiste qui essentiellement dessine, fait de la gravure, plus que de la peinture pour l’instant, mais ce n'est pas seulement "une illustratrice qui a du talent", comme des milliers d'illustrateurs "ont du talent", c’est quelqu’un qui a vraiment quelque chose à part. On avait un grand désir de travailler ensemble, et beaucoup d'affinités.  Ça a pris son temps… Et la première occasion de publier ensemble, ça a été pour le premier album au Rouergue qui s’appelle C’est Giorgio.

 

 Qui a d’ailleurs reçu le Prix Rhône-Alpes du livre jeunesse en 2009 !

 

Oui ! Kid n’a pas eu de prix, mais il est arrivé deuxième au Baobab, à Montreuil… Ce qui est plus que génial pour ce livre-ci en particulier…

 

 Pouvez-vous nous parler de l’histoire de Kid ?

 

C’est une jeune femme, une narratrice qui raconte un moment de sa vie très particulier. Durant un été, on comprend qu’elle perd ses parents et en même temps qu’elle vit cette épreuve, il y a un chaton, Kid, qui débarque chez elle. Kid est vraiment central, même si l’album fait des va-et-vient dans le temps. C’est une expérience de perte et de deuil et de très grande vie qui arrive – de nouvelle vie, de renaissance.

 

Kid, le chat, est porteur de cette vie-là…

 

Oui ce Kid, il déboule dans sa vie. Il est complètement abandonné lui-même par ses père et mère. Il est un peu dans la même situation que la narratrice. C’est une espèce d’adoption mutuelle. Il y a quelque chose de très ancré dans le foyer, dans un territoire-foyer. Il y a beaucoup de scènes d’intérieur dans le livre, et c'est Kid qui fait le lien avec le dehors.

 

Comment votre travail avec Loren Capelli s’est-il passé ? Qu'est-ce qui a servi de point de départ, le texte ou les illustrations ?

 

… C’est de la très grande chimie, tout ça… ce serait difficile à décortiquer… On nous pose souvent la question, on a bredouillé des réponses pendant des années… Notre travail et notre façon de travailler sont atypiques. La loi dans l’édition jeunesse pour les albums, la Loi avec un grand « L », c’est que quand vous êtes auteur avec un petit « a », vous donnez votre manuscrit à votre éditrice qui va ensuite chercher un illustrateur. La création du livre se passe en deux temps. Vous avez très peu de relation avec l’illustrateur, en général. Et quant à moi je ne veux plus travailler comme ça, parce que ça ne me convient pas. Même si ça a pu produire de bons livres, je recherche le travail en équipe.

 

Mais là, il a bien fallu une idée première !

Là, c’était le texte… Loren dit, par exemple, qu’on fait des livres à quatre mains. Évidemment, c’est Loren qui dessine et je reste celle qui écrit. Mais il y a tellement de dialogues… Il se trouve que Loren habite ici, on se voit pour d’autres choses, on parle beaucoup d’autres choses… Il n’y a pas " on travaille puis on boit le thé", non, quand on boit le thé, souvent on travaille. C’est très poreux. Puis, on arrive à très bien se connaître… surtout qu’au départ on est sur la même longueur d’onde au niveau de ce qu’on aime voir, de ce qu’on aime entendre…

Mais Loren a ça de particulier de ne pas être protectionniste avec son travail. C’est-à-dire qu’elle m’autorise à parler très librement de son dessin sans se sentir jugée ou sans sentir qu’elle doit défendre son travail… et… je pense qu’elle est intéressée par son travail en mouvement, et par la façon dont on se met en mouvement l’une l’autre. On accepte le dialogue. Ce dialogue produit d’ailleurs souvent des remises en cause. Par exemple, pour Kid, on est partie dans des directions qu’on a abandonnées en accord mutuel parce que ça n’allait pas. Mais, il fallait bien y aller pour s’en rendre compte. Il fallait bien y aller à deux aussi pour le voir… ça c’est très rare, j’insiste. D’expérience, on est assez refermé sur son savoir-faire ou sur sa production. On n’aime pas trop que quelqu'un vienne nous dire "blablabla oui mais là si tu avais fait ci ou ça"… Et Loren, elle accepte ça de moi.

 

 

 

 

408572639En 2006, dans Lse. et la Taille des hommes, la ponctuation éclatait. Elle s'effaçait, ce qui n'est plus le cas dans Pirate des Garages-Vides, Rapport. La virgule est revenue… Sentez-vous que votre style évolue de livre en livre ?

 

La disparition de la virgule, c’était pas pour faire la maligne ou expérimenter des choses. C’était très directement lié à un sentiment d’autocensure ou de frein que j’avais. La ponctuation, en général, et pas seulement la virgule, me permettait des raccourcis, me permettait de m’arrêter avant d’avoir été suffisamment loin. Je n’étais pas satisfaite du déroulement de la pensée et de la syntaxe, de la phrase, donc. Ce n’était pas assez poussé.

 


Pourquoi la ponctuation a-t-elle pu revenir avec Jim, le protagoniste de ce roman ?  

 

On a grandi Lise et moi. Et Jim, même s’il est plus jeune que Lise…

 

Quel âge a-t-il, à peu près ?

 

Je ne sais pas trop… Je pense que Lise avait peut-être 16 ans, c’est pas très net dans ma tête. Jim, il est entre 9 et 12 ans... Mais c’est un garçon, et ça c’est nouveau.

Le sous-titre, c’est « Rapport » parce que Jim est chargé d’écrire lui-même son rapport à son juge. C’est donc beaucoup plus structuré. Lise déroulait une espèce de journal intime tandis que Jim fait un compte-rendu. Il se retrouve à la campagne après avoir été pris en flagrant délit dans sa caverne, dans ses garages vides, d’accumuler des trucs dont il n’avait absolument pas besoin… Il écrit son rapport et il y trouve du plaisir. Il aime écrire et découvre tout ce qu’on peut faire avec la ponctuation. (Je ne suis pas du tout contre la ponctuation !)

 

 

Il est d’ailleurs très intéressé par l’effet liste !

 

Il a ça en commun avec moi. Les listes, les numéros, tout ce qu’on peut dire dans une liste. D’ailleurs, une phrase, c’est une liste de mots.

 

 

Pouvez-vous nous parler de ses parents ? Pourquoi Jim se retrouve t-il seul à la campagne, à devoir faire ce rapport ?

 

Jim a un papa qui faisait un peu la même chose que lui, ou plutôt, il fait la même chose que son père qui fauchait des trucs et qui se retrouve en prison. Il n’y a rien de terrible dans ce qu’ils font. N’empêche que c’est répréhensible. Il s’est fait piquer, il s’est fait avoir.

 

 

Et il se retrouve chez sa tante Nini…

 

D’un commun accord, la mère de Jim, son juge, la psychologue et son instituteur décident qu’il devrait "changer d’air". Il se retrouve chez Nini à la campagne. Il va à l’école, il a une nouvelle institutrice. Puis il est censé travailler un peu. Il doit choisir entre le potager et les poussins. Il prend en charge les poussins, alors qu’a priori, tout ça l’ennuie profondément…

 

 

D’ailleurs, les poussins l’obsèdent beaucoup, mais aussi cette notion de cercueil...puisque sa tante l’enferme dans une espèce de cantine rouge pour éviter qu'il se fasse prendre par l’assistance sociale…

 

Oui oui. Mais le rapport de Jim avec les poussins a un rapport direct avec la langue. Il fait un lien entre les petits poussins et le Petit Poucet. Il commence à jouer avec les mots…

J'ai appelé ce livre Pirate des Garages-Vides, et peu de gens entendent Pirate des Caraïbes dedans. Moi, je l’entends très fort… Il est beaucoup question de lapsus, de jeux de mots… On invente aussi des histoires à partir de lapsus… Donc, le fait qu’une malle s’appelle cantine, que Jim porte le nom d’un pirate fameux de L'Île au trésor et que le dernier film qu’il ait vu avec Nini juste avant l’épisode de la malle ce soit Les Contrebandiers de Moonfleet, qui est un film de pirates avec un petit héros garçon… Tout ça évidemment, c’est concentré parce que c’est un roman. Mais ça existe dans la vie, ce genre de croisements qui font tilt…

 

 

Jim s’intéresse effectivement au langage et se pose beaucoup de questions. J’ai noté cette phrase : « Est-ce que je peux me parler librement à moi ? Est-ce que c’est possible parler librement d’abord ? Dés que je me suis posé ces questions librement a plutôt eu l’air menotté »Partagez-vous ce sentiment ?

 

On revient encore à ce "tout ce que je veux" qui est un objectif. Parler librement c’est comme une injonction paradoxale puisque le langage est structuré. Qui parle librement mis à part les bébés qui n’ont pas encore le langage, qui s’expriment d’une manière primitive, primaire ? Le langage nous formate. On peut décider de jouer avec, ce que fait Jim, ou d’aller plus loin dans les formes expérimentales quand on est plus grand et plus courageux aussi. On peut essayer, je pense, de ne pas faire trop de concessions et de trouver sa langue. Elle ne va peut-être pas plaire à tout le monde mais ce n’est vraiment pas important, ça va être sa langue.

 

 

L’écriture vous permet-elle d’avoir un langage plus libre ?

 

L’écriture m’a permis d’aller dans des zones où je ne serais jamais allée sinon. C’est parfois très long, parfois ça ressemble à des tunnels… ça peut sûrement sembler irritant à entendre pour des gens qui ont des activités autrement plus pénibles, en termes de pénibilité du travail écrivain c'est quand même la planque… Cependant, si on veut faire autre chose que de raconter une histoire, et aller le plus loin qu’on peut au moment où on le fait, certains passages, certaines périodes peuvent être assez pénibles… Puis il y a des petits moments où ça s’ouvre. Je pense que c’est exactement comme dans la vie. Pour ces moments-là, ça vaut le coup. Ces petits moments où ça s’ouvre, on peut les percevoir, on est synchrone… On les voit, puis on les perd. Sauf qu'ils sont là, ils ont été là, c’est intégré en soi… Pour répondre plus directement, oui, je me sens dans un mode de communication peut-être plus direct qu’avant. Et l’écriture m’a permis d’utiliser différemment les mots, dans mon quotidien, aussi."

 


 

Puisque tout est connecté, Corinne Lovera Vitali a créé avec Claire Colin-Collin et Loren Capelli un portfolio "NON"  "pour faire, faire ensemble, et faire tout de suite" , accessible à l'adresse suivante :  http://non.ultra-book.com/

 

Ne pas manquer d'aller visiter le site de Loren Capelli : lorencapelli.com

et le blog des éditionsprécipitées (citées lors de cet entretien) : blog.editionsprecipitees.org


 

Cet entretien a été diffusé dans l'émission Entre Paroles et musique diffusée sur RCF Isère les 30 et 31 mars 2011. Entre Paroles et musique est réalisée par Maxime Barral-Baron et Vanessa Curton, sur RCF Isère. Elle est diffusée tous les mercredis 18h30 & tous les jeudis 11h30 sur le 103.7 FM pour Grenoble et son agglomération et 106.8 FM pour la Bièvre et la Côte St André. www.rcf.fr.

Pour l'écoute, le lien de l'émission sera disponible dans quelques jours. 

 

Zone littéraire 
www.vanessa-curton.fr
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